3 Janvier 2011
1er janvier 2011
Après la manifestation d'Al Masara, nous sommes repartis en direction d'Hébron pour une dernière balade dans la vieille ville. Nous avons été hébergés par une famille via l'association
France-Hébron, créée en 1997 par des francophones et Français résidant sur place, et visiblement bien connue localement. Outre le placement dans des familles d'accueil, des cours de français et
activités culturelles, l'association propose des visites guidées dans la vieille ville, avec un éclairage sur le contexte politique (infos sur www.hebron-france.org). Nous avons passé la dernière
soirée de l'année dans un café autour d'un narguilé, discutant avec notre hôte Rachid et son cousin Basel, prof d'économie pendant plusieurs années à Aix-en-Provence. Sa vision du
« conflit » est intéressante. Comme pour beaucoup de Palestiniens rencontrés, les accords d'Oslo, présentés à l'extérieur comme un pas en avant vers la paix, ont causé beaucoup de tort
à leur cause. Ils ont contribué à les diviser, instaurant notamment les zones A, B et C en Cisjordanie, la zone C, la plus importante, instaurant un contrôle israélien total sur les populations.
Il déplore aussi les distinctions de statut des Palestiniens, en fonction de leurs zones géographiques : les Jérusalémites, les réfugiés de 48, les Palestiniens de Cisjordanie ou encore les
Gazaouis. Pour lui, ces divisions ne font qu'affaiblir les revendications des Palestiniens, les enfermant dans des problématiques particulières tendant à faire oublier la cause globale du
problème : l'occupation israélienne. A propos de la résistance, il craint une certaine résignation des Palestiniens, finissant par accepter leur sort actuel, jugé finalement « correct »
comparé aux violences extrêmes perpétrées par l'armée israélienne pendant les périodes d'intifada. Comparé aussi à la situation des Palestiniens de Gaza. Se disant que, finalement, « ça
pourrait être pire ».
De retour dans le camp d'Aida à Béthleem, nous avons cependant pris le pouls d'une forte résistance, bel et bien active. Pour cette deuxième visite, nous y avons été reçus par les salariés et
bénévoles du Lajee Center, fondé en 2000 grâce à la motivation de plusieurs jeunes et à quelques dons de particuliers étrangers. Aujourd'hui, le centre tourne avec plusieurs employés et propose
de nombreuses activités aux jeunes et familles du camp d'Aida : activités culturelles (danse, musique), ateliers multimédia, expositions photos et projections de films, salle d'ordinateurs...
« Depuis les accords d'Oslo, rien n'a changé pour les réfugiés, c'est à nous de faire avancer les choses » explique Salah, directeur du centre. Salah insiste sur le fait que le centre
fonctionne en dehors de toute influence politique, et n'hésite pas à refuser les propositions de financements « sous conditions », comme celles de l'organisation US-AID notamment. De
même, le centre refuse de collaborer avec les associations israéliennes, même anti-colonialistes, qui ne reconnaissent pas le « droit au retour » des réfugiés palestiniens comme
principe de base. Le Lajee center travaille en collaboration avec l'association Zochrot, basée à Tel Aviv, apparemment seule à reconnaître ce
droit. « Il est possible voire probable que bon nombre de réfugiés choisiraient de rester dans leurs pays d'exil, voire même dans les camps où ils ont désormais construit leurs maisons, mais
c'est à eux seuls d'en décider. Le droit au retour n'est pas négociable », explique la soeur de Salah, qui travaille elle aussi au centre.
De même, poursuit Salah, le Lajee center refuse les opérations purement cosmétiques ou marketing : « Certaines organisations à l'étranger nous proposent des tournées figurant Israéliens et
Palestiniens sur une même scène, comme pour donner l'illusion d'une entente. Mais cela ne reflète pas la réalité; Sur le terrain, les Palestiniens subissent l'occupation au quotidien. Une autre
fois, nous avons été invités à nous produire lors dun' festival en Belgique. Lorsque nous avons demandé quel était le but de notre venue, on nous a répondu : « C'est pour que vous passiez un
bon moment ». Mais nous ne sommes pas là pour ça, nous avons un message politique à faire passer ». Le centre Lajee propose des activités à plus de 800 enfants par an. De nombreux
volontaires internationaux viennent y travailler chaque année, offrant leurs compétences variées.
Nous passons la nuit dans la famille de Mohammad, salarié du centre Lajee après de longues années de volontariat, aujourd'hui spécialisé dans la photographie. Nous retrouvons aussi John,
l'Ecossais arrêté lors de la manifestation à Hébron qui lui a valu une fracture à la main. Avec une Française de notre groupe encore sur place, il a participé à la manifestation de Bilin de
vendredi au cours de laquelle une Palestinienne a été tuée. Son témoignage fait froid dans le dos. Il raconte l'intensité des tirs de grenades lacrymogènes, à tous les niveaux du cortège de la
manifestation, visant directement les personnes. Une grenade est passée à quelques centimètres de la tête de la Française. Pourtant habitué à essuyer ces gaz, John en ressent encore l'effet le
lendemain.
2 janvier 2011
Le matin, nous nous joignons à un groupe d'Américains pour une visite guidée dans les rues du camp d'Aida, très affecté lui aussi par l'invasion de l'armée israélienne lors de la deuxième
intifada. 27 personnes y ont trouvé la mort, en grande majorité des civils. Aujourd'hui, le mur encercle le camp sur plusieurs côtés. Comme dans les autres camps, les services sont réduits au
strict minimum et les rues sont insalubres. La rationnement en eau, réquisitionnée par les israéliens, est en vigueur. A quelques pas de là, l'hôtel Inter-Continental de Bethléem remplit sa
piscine pour ses hôtes, avec plusieurs suites de luxe « offrant » une vue directe sur le camp.
Porte de l'école (sous l'égide de l'UNRWA) criblée de balles
tirées par les soldats israéliens depuis la tour de surveillance au fond. Cette porte a été condamnée afin de sécuriser l'accès des enfants.
La porte du Lajee center, elle aussi criblée de balles.
Dans l'après-midi, nous avons ensuite regagné Jérusalem, le coeur serré de quitter si vite la Cisjordanie et ses habitants, si chaleureux. Nous reviendrons. Hier soir, nous avons retrouvé une
partie du groupe des Ecossais à l'hôtel Hébron, notre camp de base dans la vieille ville. Ils vont terminer leur séjour dans la vallée du Jourdain où les exactions de l'armée israélienne à
l'encontre des Bédouins sont là aussi nombreuses. Nous finirons la soirée en musique dans un parc de Jérusalem, où des activistes israéliens se retrouvent chaque dimanche pour jouer de la
batucada avec le groupe « Rythm of Resistance », présent dans de nombreux pays. Tous
les vendredis, ils participent en musique aux manifestations hebdomadaires de Silwan, Sheikh Jarrah, Bilin... Ce sera l'occasion pour nous de les interroger sur leur vision du conflit et leur
positionnement politique. Sharon, l'une des musiciennes, est sans concession : « Depuis l'école, on nous rentre dans le crâne que les Arabes sont des terroristes », affirme-t-elle.
Militante, très à gauche, elle a pourtant un père et un frère d'extrême-droite, sioniste convaincue. Elle a échappé au service militaire obligatoire, expliquant à l'armée qu'elle serait ingérable
si on la forçait à rejoindre les rangs. « Je n'ai pas eu à faire de prison contrairement aux « refuzniks » qui refusent de servir l'armée pour des raisons politiques qu'ils
assument pleinement et revendiquent. Si c'était à refaire, je serai peut-être moi aussi une refuznik, ajoute-t-elle, mais à l'époque, j'étais trop jeune, j'ignorais tout cela ». A côté
d'elle, Ella est elle aussi une israélienne anti-colonialiste. Mais ce soir, elle va rendre visite à sa mère qui vit... dans la colonie de Maale Adumim. Ella comme Sharon reconnaissent qu'elles
représentent une infime minorité dans la société israélienne. Le bombardement du Liban, puis de Gaza, et l'assaut meurtrier contre la flottille de la Liberté ont-ils permis une prise de
conscience au sein de la société israélienne ? « Pas du tout, affirme Sharon, la propagande médiatique est suffisamment bien huilée pour convaincre la majorité des israéliens du bien-fondé
de ces opérations »...
Le groupe "Rythm of Resistance" se retrouve pour répéter dans un
parc de Jérusalem
3 janvier
Une journée n'est pas de trop pour envoyer tous nos objets et documents « compromettants » par la poste, graver le contenu de nos cartes numériques d'appareils photos, effacer tous les
sms et contacts dans les téléphones, faire disparaître toutes les données de l'ordinateur portable, et mettre au point notre itinéraire touristique inventé de trois semaines en Israël. Enjeu :
passer la douane de l'aéroport de tel Aviv, sans doute avec moult fouilles, mais sans révéler notre voyage en Cisjordanie, pour conserver une chance de pouvoir revenir...